Le décrochage de Haropa, qui rassemble les ports fluviaux et maritimes de Rouen, du Havre et Paris, se confirme au troisième trimestre. L’objectif fixé par l’État était de reprendre des parts de marché à Anvers. Le patron de l’établissement, Stéphane Raison, cherche désormais à limiter la casse, au risque de susciter l’impatience de Bercy.
Haropa, le premier complexe portuaire français qui rassemble les ports de Rouen, du Havre et de Paris, ne parvient pas à redresser la barre en 2023. La baisse observée au premier semestre, qui atteint – 16,7 %, s’est poursuivie au troisième trimestre. Avec 1,9 million de conteneurs manutentionnés entre janvier et fin septembre, l’ensemble portuaire présidé par Stéphane Raison enregistre une baisse de trafic de 17 %. Et, avec un retard de 400 000 conteneurs sur 2022, l’objectif du dépassement du plafond de verre des 3,1 millions de conteneurs en 2018 et 2022, est hors d’atteinte. Les autres flux à valeur ajoutée, comme le trafic d’automobiles, régressent. Tout comme le trafic de céréales (- 6 %), stratégique pour le port de Rouen.
Comme ses concurrents de la façade nord de l’Europe (Anvers, Rotterdam, Hambourg), Haropa est touché par le ralentissement économique mondial. Les infrastructures belge, néerlandaise et allemande ont toutefois limité la casse, avec une baisse de trafic de – 12 % en moyenne au premier semestre. Ce qui n’est pas le cas des ports de Seine qui ont plus de difficulté à endiguer l’hémorragie. Haropa a notamment pâti des grèves à répétition contre la réforme des retraites et la fin du conflit social n’a pas apporté l’oxygène attendu.
Objectifs flous
Une chose est sûre, le président du directoire de Haropa, Stéphane Raison, a remisé les ambitions assignées par l’État. La mise en place de l’établissement public unifié en 2021 devait permettre de reprendre des parts de marché au port d’Anvers. L’ingénieur des ponts se contente aujourd’hui d’afficher son intention de « maintenir sur les territoires de l’axe Seine la valeur ajoutée de 8 milliards d’euros créée par l’activité portuaire », comme il l’a confié lors des Assises nationales du fleuve à Rouen le 3 octobre.
Pour rebooster le trafic, le dirigeant mise en fait sur le talon d’Achille d’Anvers plutôt que sur des gains de compétitivité de l’établissement public. En raison du réchauffement climatique, l’abaissement du niveau de l’Escaut pourrait empêcher les porte-conteneurs géants de remonter son estuaire pour accéder au port belge. Les dirigeants de Haropa sont aussi à la recherche de nouveaux trafics : Stéphane Raison et ses équipes multiplient les tournées à l’étranger, une mission ayant même été menée en Amérique du Sud à la rentrée.
Bercy perd patience
Cotutelle du port, le ministère de l’économie s’impatiente face à ces contreperformances. La fusion n’a pas produit les effets escomptés et avec une masse salariale qui gonfle, l’écart de productivité avec Anvers s’est accru. Haropa emploie près de 2 000 personnes pour gérer 85 millions de tonnes de marchandises en 2022, quand l’ensemble Anvers-Bruges en traite 287 millions avec 1 800 employés. Soit 159 tonnes par salarié, contre 43 tonnes sur la Seine.
Plusieurs difficultés se cristallisent sur le port de Rouen. Face aux hausses des coûts internes, la structure a tenté de faire passer des augmentations importantes de ses droits de port pour 2023, mais cette tentative a suscité une levée de bouclier des clients céréaliers. Ces derniers reprochent en outre à l’EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) ses défaillances dans le dragage du chenal d’accès aux installations.
La nomination par Haropa, début 2023, du nouveau directeur territorial de Rouen, Dominique Ritz, n’a pas permis d’apaiser les tensions. Ce dernier intervient en télétravail deux jours par semaine. Or, depuis plusieurs mois, ce mode de fonctionnement désarçonne les différents interlocuteurs, tant les équipes internes que les clients, qui estiment que le dirigeant n’est pas assez présent physiquement sur le port.
Une croisière en forme d’irritant
Dans un contexte tendu, l’activisme institutionnel de Haropa, représenté dans de nombreux colloques, fait office d’irritant pour les grands armateurs et logisticiens. Ils lui reprochent d’y consacrer trop de temps au détriment de leur cœur de métier comparé à ses concurrents.
L’établissement public va ainsi s’associer à l’événement InfluenSeine pour organiser une croisière de trois jours (23 au 25 novembre) entre Paris, Rouen et Le Havre. Première du genre, commercialisée 1 400 euros par participant, celle-ci est destinée à vanter les atouts du fleuve et ses opportunités mais aussi à favoriser le réseautage entre membres de Haropa, qu’ils soient élus, institutionnels, clients ou acteurs économiques. L’événement, qui fait aussi appel au sponsoring des entreprises — jusqu’à 20 000 euros —, est organisé par Olivier Jamey, le président de la Communauté portuaire de Paris, un proche d’Antoine Berbain, directeur territorial de Paris chez Haropa.
Marc Fressoz
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